Rencontre avec Jean-Olivier Guiblin, responsable du service tirage Picto Bastille

Ce mois-ci, nous partons à la rencontre de Jean-Olivier Guiblin, qui entame sa trente-troisième année au sein du laboratoire Picto. Après être passé par les services de développement à Front de Seine et Montparnasse, il a rejoint l’antenne de Bastille en 2006 où il occupe le poste de responsable du service tirage, l’un des centres névralgiques du laboratoire. De nature curieuse, ce grand passionné revient sur le début de sa carrière qui a commencé dans la chambre noire de Picto. Rencontre avec cet homme de l’ombre.
 
Comment la photographie a t-elle fait irruption dans votre vie ?
 
Lorsque j’étais enfant, mon père avait un appareil photo moyen format 6,5x11 à soufflet qui datait des années 20, et qu’il avait hérité de sa mère. Cet appareil me fascinait, surtout en comparaison de ce que l’on pouvait trouver sur le marché à l’époque. Et bien entendu j’avais défense d’y toucher…
Plus tard, à l’adolescence, mon père a décidé d’acquérir un reflex 24x36, et d’abandonner son fabuleux boîtier car il était trop difficile de trouver des pellicules à ce format. Je l’ai donc récupéré et c’est à ce moment que j’ai commencé à photographier. Et puis au lycée, il y avait un laboratoire au fond d’un long couloir, qui sentait très fort le révélateur. C’est là que j’ai découvert le tirage sous l’agrandisseur et que j’ai commencé mes premiers tirages. Ça a été un vrai déclencheur.
 
 
Pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a amené aux portes du laboratoire ?
 
Initialement, je souhaitais travailler dans le cinéma, mais le destin en a décidé autrement. À la sortie du lycée, j’ai été mal orienté, je voulais postuler pour l’école Louis Lumière, mais les conseillers d’orientation m’en ont dissuadé, et je me suis retrouvé dans un IUT d'électronique. Bien évidemment, je m’y suis atrocement ennuyé, alors j’ai arrêté, et j’ai frappé à la porte de Louis Lumière. J’y ai été reçu !
Comme tout le monde, après mes études, j'ai voulu faire de la prise de vue, mais il est difficile de se lancer, j’ai donc choisi d’entrer chez Picto pour pouvoir mettre de l’argent de côté et me lancer en tant que photographe indépendant. C’était en juin 1986, j’avais un poste de nuit, je faisais du tirage, du développement, de la duplication… et j’ai même participé aux premières impressions numériques avec Michel Vaissaud. Mon emploi du temps me permettait ainsi de continuer à faire mes prises de vue, et puis avec mon salaire, je pouvais m’équiper, je m’étais acheté un Hasselblad, que j’ai toujours d’ailleurs, même si je ne l’utilise plus.
 
 
Comment êtes-vous passé d’opérateur à responsable du service tirage ?
 
Travailler de nuit est un rythme un peu particulier, mais j’aimais ça, même si par la suite, j’ai décidé de travailler le week-end, toujours dans le but de me consacrer à la photographie le reste du temps. Et puis rapidement je me suis aperçu que je ne savais pas me vendre et qu’il serait difficile d’être photographe… J’ai donc arrêté et accepté le poste de responsable du service tirage à Picto Front de Seine en 1995.
Comme je suis quelqu’un de très méticuleux, ce poste me convenait parfaitement. Je gérais une quinzaine de personnes qui travaillaient sur agrandisseur et développeuses couleur RA4 et R3 qui nous permettaient de faire des tirages à partir de négatifs et d’ektas. C’est un métier que j’ai appris sur le terrain, je connaissais bien la partie technique du laboratoire, mais ce n’est pas à l’école qu’on apprend la gestion d’une équipe, et encore moins à composer avec le caractère de chacun.
Lorsque Picto Front de Seine a fermé en 2006, j’ai gardé mon poste de responsable du service tirage, mais ici, à Bastille.
 
 
Comment avez-vous vécu l’arrivée du numérique dans votre service ?
 
Les choses se sont un peu compliquées, mais c’est avant-tout un problème générationnel. Nous sommes passés du traditionnel au numérique dans un laps de temps très court. Nous avons dû nous adapter très vite, en abandonnant des techniques anciennes face à de nouvelles sensiblement différentes. Les générations suivantes, quant à elles, sont plus à l’aise. Par contre, c’était passionnant techniquement de découvrir ces nouvelles machines argento-numérique comme la Lambda ou la Frontier. Et nous avons dû inventer de nouveaux process.
Pour des raisons techniques, lorsque les imageurs Lambda sont arrivés, nous avons opté pour la chimie RA4 (celle que nous utilisions pour les tirages couleur C41), nous avons donc dû abandonner la chimie R3 (utilisée pour les tirages des diapositives E6). Alors d’un côté nous nous affranchissions de la gestion d’une chimie très difficile à entretenir, mais elle arrivait à retranscrire des couleurs que le RA4 n’a jamais réussi à obtenir… Jusqu’à l’arrivée de nos imprimantes jet d’encre pigmentaire.
Il ne faut pas oublier que l’arrivée du numérique ne s’est pas fait sans mal, le laboratoire a vécu des années difficiles, comme de nombreux autres laboratoires d’ailleurs…
Rétrospectivement, je crois que ce qui m’a le plus gêné avec l’arrivée du numérique, c’est que tous les échanges ne se faisaient plus que par emails. Et du coup, je trouve qu’on a perdu un peu d’humanité dans les rapports avec nos clients...
 
 
Quel est votre rôle en tant que responsable du service tirage de Picto Bastille ?
 
C’est comme un montage en série, avec plusieurs paliers. Je prends cet exemple dû sans doute à ma formation en électronique (rires). Dans un seul et même service de tirage, il y a l’entretien des machines, la gestion des stocks, la coordination d’équipe, l'élaboration des plannings, et les relations avec les commerciaux et la clientèle en direct pour la plateforme PictoOnline. Tout cela sont des parcours différents, il faut bien séparer les choses.
Au sein de Picto Bastille, j’ai le plus gros parc de machines sous ma responsabilité. Il y les développeuses, les imprimantes et les massicots pour la découpe des tirages… tout cela représente de l’entretien, avec un réel suivi. La gestion des stocks, s’apprend au fil du temps, il faut anticiper sans en faire trop car c’est coûteux, et que nous n’avons pas la place pour tout entreposer. Avec l’expérience, on sait qu’il y a des périodes de l’année où notre production sera plus importante par exemple, donc il faut avoir suffisamment de papier ou d’encre pour ne pas arrêter le flux de production.
 
 
Votre service tirage rassemble une équipe de combien de personnes ?
 
L’équipe, qui est composée de 9 personnes. Nous sommes le seul service où l’on fait tourner les opérateurs entre le matin et l’après-midi à différents postes. Une personne peut faire du tirage Lambda, des impressions jet d’encre ou du petit format, voire du tirage pro. Ils touchent à tout.
Cela signifie également que j’organise les plannings en fonction des congés et des charges de production. Il faut que tout soit parfaitement planifié car nous partageons certaines machines avec le tirage traditionnel.
Pour simplifier, je suis le chef d’orchestre de tout ce service, qui prend en charge la commande, du tirage jusqu’à l’emballage.
 
 
Quels sont, selon vous, les qualités indispensables pour être responsable d’un tel service ?
 
Il faut être exigeant et avoir l’œil partout, sur tout ce qui se passe au laboratoire, sur les commandes en cours et les emails des clients. Et lorsqu’il arrive des problèmes, il faut être réactif pour les régler rapidement.
Je connais parfaitement les machines, il m’arrive donc souvent de faire moi-même certaines interventions techniques, ce qui nous fait gagner un temps précieux.
Pour moi c’est normal, car quand on choisit une voie de responsabilité, on doit parfaitement maîtriser la technique. On doit savoir comment fonctionnent les machines et à quoi elles servent.
Ensuite, il faut avoir un bon relationnel avec les commerciaux, la réception mais aussi les responsables des autres services, car souvent nos travaux s'entrecroisent. Il est donc important qu’il y ait une bonne entente. Et bien entendu avec l’équipe, même si je l’avoue, ce n’est pas toujours facile…
 
Avez-vous un souvenir marquant, une anecdote à partager avec nos lecteurs ?
 
C’était à mes débuts chez Picto, vers la fin des années 80, je travaillais la nuit essentiellement à l’agrandisseur tous formats confondus. C’était aussi le début des shoots numériques en 24x36 et 4x5 inch sur Ekta via les premiers ordinateurs graphiques (Génigraphic), prémisses à la PAO.
Leur pilotage était beaucoup moins intuitif qu’actuellement et le temps d’impression extrêmement long.
Je me souviens d’une nuit, pour un client localisé à Clermont Ferrant, je devais shooter des plans film 4x5 ». Le responsable de ce service, m’avait fait le brief le soir avant de partir, tout en me disant que si j’avais besoin d’aide je pouvais lui téléphoner quelque soit l’heure !
Evidemment, vers 3 ou 4 heures du matin, je me suis retrouvé bloqué avec un transfert de fichier qui ne fonctionnait pas. Comme je ne pouvais planter le client, j’ai hésité, mais j’ai quand même appelé ce responsable en pleine nuit, qui m’a dépanné.
Moi qui travaillait la nuit, c’était normal, mais de là à réveiller un responsable pour un shoot qui aurait pu être terminé le lendemain, je m’étais dit que cette personne, que je connaissais à peine, était quand même un peu ‘frapadingue’, ça devait être un drôle de passionné.
Cette personne est devenue un peu plus tard responsable de la production chez Picto, puisqu’il s’agissait de Michel Vaissaud.
 
 
Portrait : © Marine Ferrante
 
 
 
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